[Conférence prononcée lors d'un dîner organisé par le B'nai B'rith (Loge Henri Dunant), à Genève, le 26 novembre 1995. Invités d'honneur: le Grand Rabbin Alexandre Safran, le Pasteur Alfred Werner, le Président du Conseil d'Etat de Genève, Olivier Vodoz, le Maire de Genève, Michel Rossetti, et le Recteur de l'Université de Genève, Professeur Jean-Claude Favez]
 
 

     L'HISTOIRE: SOURCE DE CONFLITS
OU CHEMIN DE SAGESSE?

     Bat Ye'or




         Je remercie le président et le comité du B'nai B'rith pour m'avoir donné le plaisir de passer cette soirée avec vous et d'avoir ainsi l'occasion de pouvoir nous entretenir de problèmes qui nous préoccupent tous, car ils concernent notre avenir. A notre époque de dissémination d'armes terrifiantes, chacun se demande comment promouvoir l'entente entre des individus de cultures et d'orientations différentes, voire antagonistes? L'Histoire - et c'est le sujet de ce soir - peut-elle apporter une réponse positive à cette nécessité? La connaissance de l'histoire peut-elle contribuer à la résolution de conflits? Ou, au contraire, l'étude de l'histoire porte-t-elle une dynamique de réactivation des conflits? Ne vaudrait-il donc pas mieux oublier l'histoire? Opter pour l'amnésie comme certaines sociétés l'ont fait? Nous allons donc, si vous voulez bien, examiner ces deux options et comparer les résultats. Naturellement ce n'est pas ce soir, en moins d'une heure - je vous rassure tout de suite - que l'on fera le tour du problème.

        Mais il importe de comprendre que nous sommes tous responsables face à l'Histoire, car les décisions que l'on prend aujourd'hui détermineront l'avenir. L'Histoire en effet est comme une vieille dame, elle a un rythme très lent, mais elle avance toujours, c'est nous qu'elle dépose en chemin. Si son parcours nous paraît capricieux, voire imprévisible, c'est que nous, nous vivons dans le court terme, l'espace d'une vie, voire d'un mandat électoral, et elle - elle se développe dans le long terme, car elle a tout le temps devant elle. 

        Prenez l'exemple du Liban: nous avons tous assisté dans l'effroi et la stupeur, à cette fin tragique dans une sorte d'hystérie et de désespoir collectif, eh bien, cette situation était peut-être programmée dans les options politiques  qui furent prises au début du siècle. De même la restauration de l'Etat d'Israël est l'aboutissement d'un long processus. L'Europe dans 20, 30 ans sera transformée par les politiques décidées dans les années 1960 et 1970. On voit donc que l'Histoire se projette constamment dans l'avenir, ce n'est pas seulement un élément insignifiant du passé mais un ferment actif de notre présent et de notre devenir.

        Et puisque nous entrons dans un siècle religieux, puisque sans paix des religions, pas de paix sur terre, on peut dans le contexte Judaïsme-Christianisme-Islam, évaluer l'apport de l'Histoire. Et Dieu sait si ce contexte est conflictuel! Mais il faut bien se dire que sans paix des religions, pas de paix des Nations.

        On peut d'abord examiner si l'influence de l'histoire a été bénéfique ou négative dans l'évolution moderne des relations judéo-chrétiennes. Le public non averti considère que cette question concerne surtout l'Europe. En réalité on sous-estime le fait que c'est surtout en Orient - en Egypte, en Palestine, en Syrie - que s'est constituée la théologie chrétienne qui a déterminé les grandes orientations du christianisme, et notamment ses relations avec le Judaïsme. 

        Permettez moi de revenir en arrière pour situer le contexte historique du dialogue judéo-chrétien. C'est en Judée que s'est joué le plus intensément le conflit entre l'Eglise naissante et le Judaïsme palestinien, intégré dans sa patrie ancestrale depuis bien plus d'un millénaire. Avec la christianisation de l'Empire romain au IVe siècle, l'Eglise palestinienne put imposer l'interdiction aux Juifs de séjourner à Jérusalem. C'est en Afrique du Nord, au début du Ve siècle, que St. Augustin [354-430], évêque d'Hippone (Bône), énonça le plus clairement  la doctrine relative au peuple juif : peuple déicide, maudit de Dieu, condamné à l'exil et à l'abjection.

        Pour que la doctrine fût confirmée par les faits, un nombre considérable de lois concernant les Juifs furent édictées entre le IVe et le VIe siècle. Ces lois résultant des décisions de conciles et d'évêques ont constitué la base du statut des Juifs en Europe, appliqué avec plus ou moins de rigueur jusqu'à leur émancipation. Entre le dogme et le statut des Juifs, il y avait concordance intime et fusionnement. L'émancipation politique et sociale des Juifs voici plus de deux siècles, ne modifia en rien la doctrine. Cette émancipation s'insérait dans la sécularisation des institutions politiques, indépendamment de la doctrine religieuse à leur égard, qui continuait à influencer des populations croyantes. C'est ainsi qu'il y eut un total déséquilibre entre les droits reconnus aux Juifs et les positions qu'ils avaient acquises, et d'autre part les préjugés religieux, aggravés par les théories modernes racistes, qui demeuraient pregnants à la société.

        Il faut ici souligner que l'émancipation des Juifs fut exigée par des Chrétiens eux-même. Ce fut un mouvement général de réformes et de contestations, amorcé voici quelque deux siècles, qui se développa au sein des sociétés européennes. Sans cette volonté du législateur d'abolir la discrimination, le mouvement d'émancipation n'aurait pu aboutir, les Juifs représentant des groupes trop marginalisés pour pouvoir imposer des réformes de cette envergure.

        Ce n'est qu'après la Shoa, devant l'énormité de l'horreur, qu'à l'initiative de Jules Isaac, historien français, un groupe de théologiens et d'historiens, Juifs et Chrétiens, s'efforcèrent de comprendre pourquoi et comment six millions de Juifs avaient été exterminés au XXe siècle en Europe. Il fallut remonter aux sources théologiques, examiner les textes, élaborer de nouvelles exégèses, scruter l'histoire. Un travail long, ardu, difficile qui exigeait une véritable ascèse morale, une humilité et un effort continu, auquel les intellectuels chrétiens et des théologiens ne pouvaient ni ne voulaient se dérober. Au contraire, pour eux ce travail représentait une purification morale, une nécessité pour pouvoir retrouver dans sa pureté, leur propre foi. Et dans ce long chemin c'étaient les penseurs juifs qui par leurs écrits, leurs commentaires, les questions qu'ils soulevaient, les poussaient toujours de l'avant. 

        On connaît les résultats de ce travail sur l'histoire qui constitua un véritable combat au sein des Eglises et des sociétés chrétiennes. Le dogme de la substitution, celui du peuple déicide condamné à l'errance, défini par St. Augustin et qui était demeuré en vigueur, fut définitivement proscrit par les autorités religieuses chrétiennes, interdit en dépit de l'opposition des pays arabes et d'un fort courant de théologiens chrétiens traditionalistes. Après plus de seize siècles, le mouvement de réconciliation entre Juifs et Chrétiens semble être sur de bons rails. Mais il n'est pas de mon ressort d'en parler. D'autres personnes, ici présentes, qui y ont participé, seraient plus compétentes. Ce que je voudrais faire ressortir ce soir, ce n'est pas le conflit lui-même, mais c'est le rôle de l'histoire, non seulement comme terrain de travail mais comme agent de rapprochement pour sortir d'une situation conflictuelle. C'est dans la matière même de l'histoire que Juifs et Chrétiens ont noué un dialogue intense, courageux, plein d'émotion et de souffrances certes, qui a alimenté l'essence même de leurs pensées, les poussant en avant, au delà d'eux-mêmes dans l'effort d'approcher la vérité, unis dans un même désir de réconciliation. Ce travail s'est effectué sur le plan théologique et historique, et je suis heureuse ici de saluer le professeur Jean-Claude Favez qui a examiné avec une grande compétence la politique du CICR envers les juifs pendant la dernière guerre mondiale. Et l'ensemble de ces efforts, de ces recherches ont conduit à des déclarations d'autorités religieuses, d'hommes politiques comme celle des chanceliers d'Allemagne, Willy Brandt et Helmut Kohl, du roi d'Espagne, Juan Carlos, et cette année, du président de la Confédération Suisse, Kaspard Villiger, du Président français Jacques Chirac. On peut donc dire que le domaine historique aujourd'hui présente un bilan positif dans le conflit judéo-chrétien, et non seulement pour les Juifs, mais aussi et de façon égale pour la Chrétienté.

        Et pourtant... comment nier qu'à mesure que s'affirmait le rapprochement judéo-chrétien sur le plan doctrinal, s'opérait une campagne de satanisation contre l'Etat d'Israël? Comme si par un mouvement de translation, la satanisation du judaïsme se transférait à l'Etat hébreu. Et je ne parle pas ici de la critique tout à fait légitime de telle ou telle politique, mais de l'acharnement diffamatoire, de la désinformation et de la délégitimation. Et ainsi à mesure que l'on se réconciliait avec les communautés juives, populations négligeables survivantes du génocide, tous les préjugés traditionnels étaient projetés sur l'Etat d'Israël qui en venait à incarner l'essence maléfique du judaïsme. Il est vrai que les catéchismes avaient été expurgés, mais chaque jour les masse média, avec certaines exceptions, distillaient dans un autre registre l'enseignement du mépris.

        Plus on évoquait le nazisme, plus nos amis chrétiens s'efforçaient de combattre les préjugés racistes, et plus l'Etat d'Israël se voyait qualifié de nazi, de raciste - souvenez-vous de la résolution des Nations Unies en 1975 assimilant le sionisme au racisme; l'affiche montrant la Palestine (Jésus) crucifiée sur une étoile de David (l'Etat Juif), affiche interdite par les autorités genevoises; dissémination des Protocoles des Sages de Sion (au Salon du Livre de Genève en 1988-89, la Licra a pris des dispositions de justice pour faire interdire la vente par l'Iran) et fausses accusation de meurtres rituels, accusations contre laquelle mon mari a protesté à la Commission des Droits de l'homme à l'ONU en 1991. Plus on évoquait l'histoire et plus par une sorte de mimétisme, on activait un retour de l'histoire, un retour des haines et une projection sur les victimes, des crimes des bourreaux. Plus les amis chrétiens d'Israël tentaient de modifier la doctrine et plus se renforçait le soutien à la cause palestinienne, conçue alors comme l'arme de destruction de l'Etat hébreu transgresseur dont la disparition rétablirait la pureté  du dogme. Ainsi il semblait que l'on fût condamné à piétiner toujours dans les mêmes ornières, et que plus nos amis chrétiens luttaient pour la réconciliation judéo-chrétienne, plus s'activait le procès de délégitimation de l'Etat hébreu. Le mot "Israélien" était devenu aussi répulsif que le mot "Juif". Et l'on se proclamait "antisioniste" comme on se revendiquait fièrement "antisémite" dans l'Entre-Deux guerres. On avait ainsi l'impression que rien n'avait vraiment changé: avec le rappel de l'histoire revenait aussi les vieux démons.

        Cependant, je crois, je suis même fermement persuadée que la situation a bien changée, que somme toute, le bilan est très positif à condition de demeurer vigilant. Mais je ne voudrais pas juger les résultats, mais examiner avec vous les conséquences du travail qui s'est fait sur l'histoire. Ce que je voudrais souligner ici surtout, c'est l'extraordinaire effort accompli ensemble par des hommes, des femmes, laïcs ou théologiens pour déblayer ensemble les obstacles à la réconciliation. Ceci a créé des liens d'estime, de respect réciproque quelle que soit la chaleur des discussions. Une masse de livres et d'études a été publiée, ils ont stimulé des réflexions, terrain fertile de dialogue et d'échange où s'affirment l'égalité des êtres humains par la liberté de parole et de pensée, permises à tous.
        Si maintenant l'on se tourne vers des sociétés qui ont gelé l'histoire ou l'ont remplacé  par des mythes, on peut en examinant leur bilan, se demander si la suppression de l'histoire permettrait de mieux résoudre les conflits, si vivre dans l'amnésie serait une meilleure solution. Les communistes ont gelé l'histoire, et aujourd'hui on voit partout surgir de vieux conflits non résolus. Je sais par plusieurs sources sûres, que des dirigeants politiques ont reconnu n'avoir aucune connaissance de l'histoire des Balkans, et que c'est cette ignorance qui a déterminé des décisions qui ont conduit aux catastrophes humanitaires depuis 1991. C'est donc reconnaître implicitement une valeur à l'histoire dans la prévention des conflits.
        Mais il y a d'autres sociétés où l'histoire est bannie. C'est le cas  des sociétés islamiques qui ont remplacé l'histoire des relations entre Musulmans d'une part, et de l'autre les Peuples du Livre - les dhimmis Juifs et Chrétiens - par le  concept de  tolérance. Et là aussi on peut se demander si cette absence d'histoire critique a été un facteur positif? Ici, c'est le calme plat, pas de discussions, le temps millénaire est celui d'une  tolérance qui n'a ni bornes, ni écueils, ni vagues, qui est parfaite parce qu'elle exprime la perfection du gouvernment islamique, conforme à la volonté de Dieu. Pourtant si l'on soulève cette chappe de silence, l'on constate que tous les territoires conquis par les Musulmans l'ont été par le jihad - une guerre certainement la plus cruelle et la plus violente qui soit; que le statut qu'ils ont imposé aux populations conquises, Juifs et Chrétiens, était le même - mais sous une forme islamisée et aggravée - que celui qui fut imposé aux Juifs par l'Eglise. Ainsi, comme dans les royaumes chrétiens, il existe dans les empires islamiques une doctrine concernant les Peuples du Livre et une juridiction particulière pour les gouverner. Et là aussi, on constate une conformité entre la doctrine et la juridiction, cette dernière visant à prouver la véracité de la doctrine par l'avilissement obligatoire, institutionnalisée, imposée aux non-Musulmans; juridiction inscrite dans la chari'a, la loi religieuse islamique. Dans l'Empire ottoman ce statut particulier fut théoriquement aboli sous la pression de l'Europe au XIXe siècle. 

        Dans la doctrine islamique concernant les Peuples du Livre, on trouve notamment le principe de la substitution: ce sont les Musulmans qui remplacent les Juifs et les Chrétiens dans l'amour et l'élection divine; le principe de la pré-existence - c'est Mahomet qui était au mont Sinaï, et l'islam qui se manifestait chez les hommes saints et vertueux  mentionnés dans la Bible, avant l'arrivée de Mahomet; enfin le principe du courroux et de la malédiction divine à l'égard des Juifs et des Chrétiens, falsificateurs des textes et aveuglés par l'ignorance, condamnés à vivre dans l'abjection et l'humiliation.

        Or aujourd'hui, les mouvements islamistes imposent le retour de la chari'a et l'application à nouveau des mesures discriminatoires traditionnelles à l'égard des Chrétiens d'Islam (il reste fort peu de Juifs dans le monde arabe, moins de 10,000). Ainsi les anciennes lois fondées sur le mépris théologique, sont revenues en force, recomposant ainsi le contexte de la dhimmitude. De même, parce que le jihad, en tant qu'institution militaire n'a fait l'objet d'aucune critique, nous voyons aujourd'hui une explosion de jihad aux quatre coins de la planète. Cette situation est la conséquence directe d'une carence d'histoire critique concernant la juridiction et la doctrine relatives aux Peuples du Livre. 

         Ce terrain de liberté, évoqué tout à l'heure, où travaillèrent ensemble sur le matériau historique humain, des hommes et des femmes venus d'horizons divers, unis par le même désir de compréhension réciproque et de paix, est totalement inexistant dans ce contexte musulman. 

        Je ne crois pas que l'on pourra avancer sur le chemin des réconciliations si l'on évite la critique historique. On peut se demander pourquoi cette critique a été possible en Europe et non avec les intellectuels musulmans. A mon avis, il y a eu trois éléments déterminants qui ont manqué en terre d'islam: (1) la liberté de pensée et d'expression, indispensable à la critique des textes sacrés; (2) un processus d'auto-critique au sein d'une élite musulmane par rapport à son histoire et par rapport aux populations qui furent asservies - un esprit d'humilité et de repentence, une volonté de réconciliation; un effort et une volonté de renouvellement de la pensée religieuse; et une stimulation venue de l'extérieur.

        Dans les pays musulmans, les Chrétiens auraient dû être les stimulateurs de ce processus comme le furent les Juifs en Europe. Il n'en fut rien, et dès la fin du siècle dernier, l'opposition au sionisme au nom de l'arabisme, puis au nom du palestinisme - scella une alliance islamo-chrétienne qui bloqua tout le processus de critique historique, et évacua l'histoire. Il y avait à cela plusieurs raisons que j'ai tenté d'analyser dans mon dernier livre - nous y reviendrons peut-être plus tard au cours des questions. Car je voudrais conclure en disant que ce travail de mémoire avec l'islam est fort complexe. Car tout d'abord ce n'est pas un dialogue comme le dialogue judéo-chrétien, où deux locuteurs se parlent face-à-face. Mais c'est obligatoirement un trialogue et l'on sait que dans tout trialogue, il se crée une sorte de connivence entre deux locuteurs contre le troisième. Et c'est ce qui s'est passé dans l'alliance islamo-chrétienne antisioniste. On a vu les interférences des Etats arabes, leurs pressions sur les clergés d'Orient pour empêcher la réconciliation judéo-chrétienne. C'est la raison de ces avancées et de ces reculs, de ces déclarations de sympathie envers le judaïsme, compensées par des attitudes violemment anti-sionistes, pro-palestiniennes, donc pro-arabes et islamiques. Le problème c'est que le rapport avec l'islam est forcément un trialogue, que ce soit avec le judaïsme ou avec le christianisme, la condition du Chrétien étant identique à celle du Juif et vice-versa. C'est ce que les Chrétiens n'ont pas compris.

        Malheureusement ce trialogue me semble aujourd'hui, bien compromis malgré des apparences contraires, en fait les fondations de la paix ne pourront se consolider que par une modification des mentalités. Le trialogue aurait dû commencer après la Première guerre mondiale, mais divers facteurs l'ont bloqué. En particulier, il fallait d'abord franchir une étape, celle de la réconciliation judéo-chrétienne. Ce pas franchi permets à l'Eglise de lutter avec les Juifs, pour l'abrogation d'une même condition où l'a enfermée la doctrine islamique. Aujourd'hui, dans le climat de haine et de terrorisme qui règne, c'est trop tard. Il faudrait un courage surhumain aux musulmans qui oseraient faire une étude critique de leurs propres textes sacrés, or c'est eux seulement qui peuvent entreprendre de nouvelles exégèses de leurs textes fondateurs, et c'est eux aussi qui plus que nous en ont besoin. En définitive, si l'on compare les situations, je dirais que le mythe qui a remplacé l'histoire a permis aux conflits de perdurer, alors que l'histoire a été un élément déterminant non seulement de la réconciliation judéo-chrétienne, mais aussi la réconciliation de nations qui se sont combattues. Elle a forgé, dans le travail de recherche, l'estime et le respect réciproques indispensables à la sérénité et aux dépassements des haines et des conflits.

        Enfin un mot sur le judaïsme. Comme les autres religions, le judaïsme aussi doit se repenser et faire son aggiornamento. Il est vrai qu'ici la situation est différente puisque la Bible ne mentionnent nommément ni les Chrétiens, ni les Musulmans, et que l'Etat souverain juif a disparu sous les Romains. Néanmoins il y a eu une exégèse rabbinique qui s'est développée dans les souffrances de l'exil et les persécutions et qui a été marquée par ces expériences tragiques et le repliement sur soi. Aujourd'hui il existe un Etat hébreu moderne. Les circonstances ont donc changé et elles demandent de la Diaspora et de l'Etat d'Israël le même effort d'adaptation aux exigences modernes. On voit aujourd'hui avec l'assassinat tragique d'Yitzhak Rabin par un fanatique combien cette réflexion devient urgente.

        Dans l'environment spécifique qui est le sien, l'Etat d'Israël devra adapter les exigences de sa survie à celles de la paix. C'est là un test - soyons en sûr - qui indiquera si les haines millénaires pourront se résorber. Car la restauration de l'Etat d'Israël - son acceptation par les Nations, avec sa capitale Jérusalem - récuse le concept de peuple maudit, exclu de l'amour divin. Ainsi la réparation de la plus grande des injustices, porte aussi en elle la réconciliation entre Juifs, Chrétiens et Musulmans. Puisse chacun de nous relever ce défi, chacun selon ses possibilités.